Un mécanisme de déstabilisation de l'univers primordial
Des physiciens du CNRS et de l’université de Varsovie ont mis à jour un phénomène d'instabilité à l'oeuvre dans l'univers primordial qui modifie l’interprétation théorique des observations du fond diffus cosmologique, et permet de contraindre fortement les scénarios d'inflation construits dans le cadre de la physique fondamentale. Ce travail est publié dans la revue Physical Review Letters.
L’inflation : un succès et beaucoup de questions
Les observations cosmologiques récentes, en particulier du satellite européen Planck en 2013 et 2015, ont permis de confirmer la théorie de l'inflation cosmologique. Selon celle-ci, les germes des galaxies et des amas de galaxies sont issus de fluctuations quantiques microscopiques étirées par une phase d'expansion accélérée de l'univers il y a plus de 13 milliards d'années. Mieux, les modèles d'inflation les plus simples rendent parfaitement compte de toutes les données. Ce succès apparent laisse les cosmologistes et les théoriciens des hautes énergies perplexes. Leur compréhension des théories physiques, en particulier de gravité quantique, suggère en effet des scénarios d'inflation bien plus complexes. De plus, les données actuelles ne fournissent aucun indice pour les orienter, parmi toutes les possibilités théoriques, vers une compréhension plus fine.
Vers une inflation déstabilisée dans les modèles de physique des hautes énergies
Sébastien Renaux-Petel, de l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP, CNRS/UPMC), et Krzysztof Turzynski, de l'université de Varsovie (Pologne), sont partis du cadre typique dans lequel est étudiée l'inflation dans les théories de hautes énergies comme la supergravité ou la théorie des cordes. Celles-ci présentent de nombreux objets physiques appelés champs scalaires (le fameux champ de Higgs est un champ scalaire). Leur évolution est similaire à celle d'une bille qui suit la ligne de plus grande pente du relief, que les physiciens appellent le potentiel d'inflation.
Dans les modèles d'inflation les plus simples, ce potentiel a l'allure d'un canyon à la vallée en pente douce mais aux parois escarpées, de telle façon que les champs scalaires sont stabilisés dans la vallée. Les deux physiciens ont cependant noté qu'un autre effet entrait en considération : les champs évoluent de manière générale dans un espace interne à la géométrie courbe, comme par exemple les coordonnées décrivant une sphère. Quand cette courbure est négative, un cas très fréquent, toutes les trajectoires tendent à devenir instables, et même des parois escarpées ne peuvent en général empêcher les champs scalaires d'être expulsés en dehors de la vallée : l'inflation est déstabilisée (voir Figure a). Ce phénomène, que les chercheurs ont baptisé déstabilisation géométrique et qui n'avait pas été identifié auparavant, peut arrêter de manière prématurée l'inflation.
Un regard nouveau sur l’interprétation des observations du fond diffus cosmologique
Cette fin prématurée de l’inflation modifie les caractéristiques des fluctuations cosmologiques primordiales générées dans ces modèles, et donc l'interprétation théorique que l'on peut tirer des observations. Ce mécanisme permet également de contraindre de manière unique les théories de physique des hautes énergies, et en particulier leur géométrie interne, réaffirmant les liens étroits entre cosmologie et physique théorique fondamentale. Nombre de modèles populaires sont soumis à la déstabilisation géométrique, qui, sans nécessairement leur être fatale, modifie radicalement leurs propriétés. Ils vont devoir être étudiés à nouveau à l'aune de cette découverte, qui rebat les cartes entre les théories considérées jusque-là comme exclues ou bien favorisées par les observations.
Pour plus d'informations :
Article dans Physical Review Letters : PhysRevLett.117.141301arXiv : "Geometrical Destabilization of Inflation"
Contact : Sébastien Renaux-Petel - renaux at iap dot fr